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 Malika

 

Son nom et son numéro de téléphone étaient écrits au crayon de papier en bas de page sur mon agenda: Malika Laurent, première consultation, dernier rendez vous de la journée.

Je m'interrogeai sur ce prénom d'Afrique du nord, collé à un patronyme français. Ce n'est pas si courant et avant même de l'avoir vue, j'eu envie de connaître son histoire. Je ne voyais pas d'autre possibilité qu'un mariage et je me demandais déjà de quelle façon j'allais pouvoir lui faire raconter la rencontre, la vie à la maison, l'éducation des enfants, les relations entre les deux familles, et comment elle vivait ce mélange inscrit sur sa carte d'identité.

Mon imagination n'avait pas pris la bonne direction. Malika avait des traits parfaitement caucasiens, les cheveux châtains, les yeux verts et des taches de rousseurs. Elle avait consulté plusieurs médecins, dont un certain nombre de spécialistes pour des douleurs de la jambe droite, qui n'avaient trouvées ni explication convaincante, ni traitement satisfaisant. Après l'avoir consciencieusement interrogée, je finissais de l'examiner sans avoir relevé la moindre piste qui aurait échappée à mes confrères. Un peu pour prendre le temps de réfléchir et un peu par curiosité, je lui demandais comment on pouvait s'appeler Malika Laurent.

Je vais tenter de restituer fidèlement sa réponse mais la mémoire de son récit s'est métamorphosée en séquences presque cinématographiques si bien que je ne suis plus certain de savoir trier entre ce qu'elle m'a réellement raconté et le film que je me suis fait.

"c'est curieux que vous me posiez cette question. je l'ai posée à mon père il y a quelques mois alors que je l'accompagnais à l'aéroport.
C'était pendant la guerre d'algérie. Il était en opération avec son unité. Il est entré dans une maison et a surpris un soldat en train de violer une femme. Il a essaye d'intervenir mais le soldat n'a rien voulu savoir et mon père lui a tiré une balle dans la nuque.
La femme s'appelait Malika.
A ma naissance, malgré les réticences de ma mère, ils m'ont choisi ce prénom.

C'est moi qui conduisait la voiture
pendant que mon père me racontait cette histoire et je n'ai pas pu voir son visage. Je me rappelle que j'ai pleuré.
Mon père est mort peu de temps après."


J'ai oublié comment s'est finie la consultation. Je ne me rappelle plus les émotions qui passaient sur le visage de Malika. Je ne sais plus ce que je lui ai dit de sa douleur, ni comment je lui ai dit au revoir. Son histoire a effacé tout le reste. Je ne l'ai plus revue.