« Comme une locomotive noire de suie au terme du voyage
remorquant péniblement vers l’ombre la moitié éclairée de la terre
quand la moitié obscure cherche à tâtons le premier trait de lumière. »
Amos Oz – Seule la Mer
La poésie est allusive ou allégorique.
Elle joue et éclaire
Comme un phare de tempête
une nuit de nuages,
elle danse dans le clair-obscur,
fluide de ses alternances,
et nul ne songerait à en attendre
la brillance du jour levé.
La poésie est fille de la musique.
Elle tape du pied et chantonne à mi-voix,
prête à oublier sa route
si la mélodie l’emporte dans son pas.
Alors il faut se laisser prendre par la taille
Et doucement s’abandonner,
tourner et tourner à sa musique,
comme on offre son oreille sans fin
à la pluie sur les feuilles,
aux flocons qui s’épousent dans la neige,
à l’écume moussante sur les galets.
Et dans ce vertige parfois la lucidité.
La poésie a ses recettes
à suivre à la lettre ou à inventer.
Quelques pincées de son pour la voix des mots,
pour la rythmique, pour l’harmonie pûre,
sans autre inquiétude, en confiance
d’une musique enceinte de tous les sens du monde.
Une cuillerée bien dosée, sans excès,
d’obscurité, juste avant l ‘amertume,
pour qu’on y revienne,
pour ce goût indéfinissable,
pour percer le secret de l’ombre,
pour l’envie de chercher, de comprendre,
pour ne pas se laisser prendre sans séduction.
Parce que le noir porte aussi sa vie.
Et quand même un gros saladier de sens,
blanc de farine, doux et salé,
ingrédients limpides et goûteux,
pour de pas décevoir, pour ne pas éloigner,
pour le plaisir d’entendre les langues claquer.
Pour ça aussi. Pour ça surtout peut-être.
Proposer, jamais imposer,
un sens à lire comme une image,
qui saisit ou qui séduit,
qui s’adresse à une autre obscurité, un autre langage,
entre l’offrande primitive et le symbole mystique,
dissimulé ou jupes relevées,
au vent ou à l’abri,
à effleurer ou à pétrir,
à l’envi.
J’écris comme je photographie,
sur l’urgence d’une émotion,
avec un élan intime non maîtrisé,
qui me coupe parfois le souffle quand j’y retourne
demain ou dans un an,
quand j’éteins ou que j’enfouis
mais que je peux rallumer plus tard.
C’est comme une sève épaisse qui s’écoule et s’écoule,
un miel amer ou tendre
qui colle toujours un peu aux doigts
et qu’on lave ou qu’on lèche
soit pour s’en débarrasser,
soit pour le retenir
longtemps encore sur le fond de la langue
comme un goût à méditer,
à emporter, à comprendre,
Peut-être, plus tard peut-être.
Je trempe ma plume dans ma lumière
Et révèle ma vie à mes yeux ébahis.
Amuses-gueules
conciliabules
séquences
Pakistan, 1947. |
La PoésieCommentaires |
(Réponse, si tant est qu'elle soit souhaitée, provisoire et absolument insuffisante)
La poésie est,peut être,un balbutiement,
quand les choses ne sont pas tout à fait tangibles, pas encore saisies par l'esprit...
ou , peut être, le souvenir d'une aube originelle ,déséspérement enfouie.
La poésie est une matrice émotionnelle née de l'alchimie des mots
Elle ne vise pas à désigner les choses, mais juste à ne pas s'éloigner de cette aube...pour retrouver la palpitation initiale...
"On vient de découvrir une nouvelle étoile,
ce qui ne veut pas dire qu'il fait soudain plus clair,
ou que nous sommes plus riches d'un truc qui nous manquait.
[...]
Une nouvelle.
"Dis -moi au moins où elle est."
"Entre le bord de ce petit nuage éffiloché
et cette branche d'acacia, plus à gauche."
"Ah bon", je réponds.
(L'excédent, Wislawa Szymborska)