Il m’a dit : « l’important pour un homme c’est de chercher sa tête »
L’entrée est un rectangle éblouissant découpé dans la pénombre. Nous mangeons tranquillement autour d’une table en formica, au frais. Primo Lévi et sa femme jouent aux cartes à la table voisine.
Après, nous sommes à la même table et la discussion s’anime. C’est là que Primo Lévi me dit, en comprimant ses poings contre sa poitrine, que l’important pour un homme, c’est de chercher sa tête. Je trouve ça bizarre qu’il parle de la tête en désignant son coeur mais le sens de la phrase ne me pose pas de problème. Je m’imagine au milieu d’une foule cherchant la tête qui m’appartient. Je lui réponds que l’important c’est que la foule soit bienveillante. Il en convient.
Après, je suis sur le trottoir avec Line, nous allons vers la voiture. Je m’exclame : « mais c’est à lui que je devais demander pour la nouvelle ! ». Je retourne au restaurant qui a maintenant une porte d’entrée capitonnée, des tentures écarlates sur les murs et une lumière tamisée au dessus des tables basses en acajou. Mon père attend debout à l’intérieur avec ma fille. On m’indique le chemin pour aller au domicile de Primo Lévi et j’y vais en voiture.
Après, je suis devant l’appartement de Primo lévi. L’appartement est au deuxième étage. Il n’y a pas d’ascenseur. Le palier donne sur une cour intérieure et il y a plein de plantes vertes. Une femme me fait comprendre que la clé est sous le paillasson et que je peux entrer. Je préfère attendre que Primo Lévi et sa femme arrivent.
Après, je suis dans une pièce minuscule. Un édredon, fleurs bleues sur fond blanc, recouvre le lit qui sert de banquette. J’explique à Primo Lévi que je cherche la nouvelle où il décrit le brevet d’invention d’une puce électronique qui permet de manipuler la perception que l’on a de la vitesse d’écoulement du temps. Il voit immédiatement de quoi je parle et sort de sa bibliothèque un livre très fin dont la couverture est un tissu beige. Il me dit quelque chose sur l’édition. Plusieurs pages du livre sont des photographies de paysage champêtres. Je n’ai pas noté le titre de la nouvelle
Après, c’est tout.
Je suis un collectionneur de signes, mais pas de n’importe quels signes. Seulement de ces petits évènements qui arrivent à l’improviste et à point nommé, à la fois inattendus et bienvenus. Il est important de signaler qu’un bon signe doit toujours être accompagné. Il est précédé ou suivi mais toujours accompagné par un voire plusieurs signes ce qui est nettement mieux car alors ils forment ensemble un bouquet de signes et c’est ce bouquet, offert par la journée, reniflé, contemplé, recomposé plusieurs fois, qui donne tous les sens des signes. Un signe solitaire est un mauvais signe ; mais il suffit quelquefois d’être patient.
Hier, 11 avril 2007, je suis allé rendre une visite aux blogbos et j’ai beaucoup apprécié ce billet. Il m’a fait penser à cette nouvelle de Primo Lévi que j’avais lue dans un magazine Air France entre Marseille et Casa. En cherchant sans succès la référence, j’ai appris que le suicide de Primo Lévi datait du 11 avril 1987, il y a vingt ans jour pour jour.
Primo Levi, suicide, vingt ans...
Pause...
Un Bouquet était en voie de formation qu’il fallait bichonner. J’ai cherché encore et dans la soirée j’ai ressorti de la bibliothèque « Le système périodique » et « Lilith », j'ai laissé "Si c'est un homme". Je me suis rappelé que je le lisais "Lilith" il y a 17 ans pendant que Line accouchait et que mon beau frère le lisait aussi quelques mois plus tard pendant que ma sœur accouchait.
Ce matin, en m’appliquant à conserver le souvenir de ce rêve, (pendant que je cherchais ma tête ?) je me disais qu’il me faisait du bien. Bien plus qu'un autre rêve qui me restait en mémoire, celui avec des cigognes éventrées sur des arbres morts.
Quand j’ai un beau bouquet comme ça, si je cherche profond dans ma tête, il est bien possible que je trouve camouflé quelque part le sentiment qui me fait tellement aimer les signes. Un sentiment flou, pas aussi précis que le plaisir que j’ai à exploiter ces petits événements auxquels je ne prête que le sens et l’importance que ma fantaisie veut bien leur donner, rien de magique ni de surnaturel, plutôt une façon de ne pas balayer négligemment ce que d’autres appellent les hasards et les coïncidences, sans que j'en fasse pour autant des manifestations de la providence. Ce serait un sentiment discret, timide, pas vraiment ridicule mais presque comique, un reste d’enfance : une envie de dire merci comme après avoir reçu un cadeau. Mais je ne sais pas à qui.
Edit du 15 avril 2007: la nouvelle s'appelle "Echec au temps", publiée dans "Le fabricant de miroirs"
Les signes, ces hasards merveilleux et parfois inspirants, nous montrent peut-être à quel point nous sommes liés, bien plus étroitement que ce qu'on l'imagine entre morts et vivants, entre vivants et vivants, entre songe et réalité, entre nous et la nature, entre le passé et le présent...
Des voisins de palier à qui on ne parle pas et que l'on retrouve dans un café à l'autre bout du monde,
Des chiffres qui valsent et qui semblent déployer un roman,
Un lézard qui vous regarde et que vous regardez longtemps,
Un rêve prémonitoire,
Des roses fraîches qui vous tombent dessus, jetée rageusement d'un étage et quelques minutes plus tard, un pigeon qui lance son guano en roucoulant,
un homme qui rêve d'un écrivain à la date anniversaire de sa mort....
Parfois les signes ne forment pas de bouquet, ils gardent leur mystère, absurdes, ils sont un dialogue interrompu....Peut-être y-en a t-il qui se répètent et qu'on a pas encore vu...Ils nous font signe