Abdelkarim est un grand échalas, tout sec, élégant, policé, presque obséquieux. Un ton juste un peu trop emprunté, comme un vendeur de téléphones portables qui n'a pas encore senti que l'affaire lui échappe.
Quand il commence à parler, ses mains sont sagement croisées sur ses genoux. Elles s'ouvrent ensuite comme celles d'un politicien qui veut poser son discours et témoigner de sa bonne foi, mais finissent par entraîner ses longs bras et l'ensemble du tronc dans une gestuelle qui rappelle celle d'un boxeur à l'échauffement.
Une longue cicatrice de trépanation est parfaitement visible sous ses cheveux coupés très courts. Il s'est planté en voiture à cause de la magie noire de sa belle mère. A cause de l'accident, sa femme à cru qu'il ne serait plus utile à rien et elle s'est barrée. Mais aussi à cause de la magie noire. Il a mis beaucoup de temps à s'en rendre compte. C'est toujours comme ça avec ceux qui sont victimes d'un maléfice, c'est les derniers à s'en rendre compte. Le marabout le lui a bien expliqué. Il avait tout compris tout de suite: tout était de la faute de la belle mère, comme s'il la connaissait. Il ne faut pas croire, il y a encore beaucoup de personnes qui utilisent la magie, et pas que les noirs et les algériens, le juifs et le tunisiens aussi. Enfin il lui a fabriqué un talisman tout exprès et depuis tout va mieux et il ne le quitte jamais. L'histoire du flic bien sûr, ça n'a rien à voir. Sur ce coup là il est entièrement responsable.
Mais maintenant grâce à son talisman, il a retrouvé un emploi d'insertion (il repose ses mains, sagement sur ses genoux) "dans un environnement agréable et convivial, un travail intéressant et très instructif, avec une dimension sociale et proche des gens". Il est agent d'accueil dans une association qui s'occupe de commerce équitable.
Abdelkarim m'a valu une engueulade avec celle que je suis en amour avec, qui ne supporte pas les coups de boule sur les représentants des forces de l'ordre surtout s'il sont accompagnés (les coups de boule) d'une fière jubilation. Moi, je supporte mal l'humiliation gratuite et encore moins l'humiliation payante, et je le trouvais crédible ce type avec un talisman autour du cou.
Du coup, on a eu une violente discussion sur la violence. Les boules.
un monsieur tranquille
T'es obligé d'écrire aussi bien?
C'est complètement visuel: j'imagine un jeune John Turturro dans le rôle d'Abdelkarim: doucereux, sensible , poli et totalement dénué d'empathie.
Je ne vois pas de raison dans cette histoire, de te fâcher avec ta compagne. J'imagine que si tu as eu cette consultation avec ce zygue, c'est que tu t'en payes quelques autres avec des gens légèrement glissants sur le terrain non-existant de la réalité objective.
Offre-lui des fleurs (pas des chrysanthèmes, sauf si c'est Mitra), invite-la à dîner dehors.
Nous faisons tous partie des preneurs de réalité subjective, centrée autour de nous-mêmes. Celà rend les compte-rendus difficiles à catégoriser, voire à classer.
Je me souviens de gens parlant du traitement injuste que leur réservait la barmaid (elle ne leur souriait jamais), ou de l'indifférence que leur manifestait leur soeur, même quand ils leur apportaient des biens de consommation si chèrement désirés. Celà leur était insupportable, mais ils l'exprimaient calmement, sans jamais user de gros mots.
Puis ils reprenaient leur fusil et repartaient pour une journée de travail. Certains étaient des francs-tireurs (snipers) et passaient leur journée à ruminer les injustices ou la froideur qu'on leur manifestait, tout en essayant de dégommer des silhouettes à distance.
Rien ne me semblait plus abject, pourtant il fallait boire des coups avec eux. Eux-mêmes continuaient à larmoyer sur leur solitude..finalement, en t'écrivant ceci, je me rends compte d'une chose: jamais je ne parlerais de ça à ma fille, car elle me jugerait sévèrement d'avoir cotoyé de telles personnes, même si c'était pour condamner leurs chefs.
donc c'est normal que ta femme te fasse la gueule!
Je t'ai aidé, là,non? Merci leblase!