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Archives par mois


 Vingt ans après sa mort, Primo Lévi m’a parlé dans un rêve.

Chercher sa tête

Il m’a dit : « l’important pour un homme c’est de chercher sa tête »

C’était la nuit dernière, dans un tout petit restaurant comme on en trouve en Italie ou au Portugal.
L’entrée est un rectangle éblouissant découpé dans la pénombre. Nous mangeons tranquillement autour d’une table en formica, au frais. Primo Lévi et sa femme jouent aux cartes à la table voisine.

Après, nous sommes à la même table et la discussion s’anime. C’est là que Primo Lévi me dit, en comprimant ses poings contre sa poitrine, que l’important pour un homme, c’est de chercher sa tête. Je trouve ça bizarre qu’il parle de la tête en désignant son coeur mais le sens de la phrase ne me pose pas de problème. Je m’imagine au milieu d’une foule cherchant la tête qui m’appartient. Je lui réponds que l’important c’est que la foule soit bienveillante. Il en convient.

Après, je suis sur le trottoir avec Line, nous allons vers la voiture. Je m’exclame : « mais c’est à lui que je devais demander pour la nouvelle ! ». Je retourne au restaurant qui a maintenant une porte d’entrée capitonnée, des tentures écarlates sur les murs et une lumière tamisée au dessus des tables basses en acajou. Mon père attend debout à l’intérieur avec ma fille. On m’indique le chemin pour aller au domicile de Primo Lévi et j’y vais en voiture.

Après, je suis devant l’appartement de Primo lévi. L’appartement est au deuxième étage. Il n’y a pas d’ascenseur. Le palier donne sur une cour intérieure et il y a plein de plantes vertes. Une femme me fait comprendre que la clé est sous le paillasson et que je peux entrer. Je préfère attendre que Primo Lévi et sa femme arrivent.

Après, je suis dans une pièce minuscule. Un édredon, fleurs bleues sur fond blanc, recouvre le lit qui sert de banquette. J’explique à Primo Lévi que je cherche la nouvelle où il décrit le brevet d’invention d’une puce électronique qui permet de manipuler la perception que l’on a de la vitesse d’écoulement du temps. Il voit immédiatement de quoi je parle et sort de sa bibliothèque un livre très fin dont la couverture est un tissu beige. Il me dit quelque chose sur l’édition. Plusieurs pages du livre sont des photographies de paysage champêtres. Je n’ai pas noté le titre de la nouvelle

Après, c’est tout.



Je suis un collectionneur de signes, mais pas de n’importe quels signes. Seulement de ces petits évènements qui arrivent à l’improviste et à point nommé, à la fois inattendus et bienvenus. Il est important de signaler qu’un bon signe doit toujours être accompagné. Il est précédé ou suivi mais toujours accompagné par un voire plusieurs signes ce qui est nettement mieux car alors ils forment ensemble un bouquet de signes et c’est ce bouquet, offert par la journée, reniflé, contemplé, recomposé plusieurs fois, qui donne tous les sens des signes. Un signe solitaire est un mauvais signe ; mais il suffit quelquefois d’être patient.

Hier, 11 avril 2007, je suis allé rendre une visite aux blogbos et j’ai beaucoup apprécié ce billet. Il m’a fait penser à cette nouvelle de Primo Lévi que j’avais lue dans un magazine Air France entre Marseille et Casa. En cherchant sans succès la référence, j’ai appris que le suicide de Primo Lévi datait du 11 avril 1987, il y a vingt ans jour pour jour.

Primo Levi, suicide, vingt ans...

Pause...

Un Bouquet était en voie de formation qu’il fallait bichonner. J’ai cherché encore et dans la soirée j’ai ressorti de la bibliothèque « Le système périodique » et « Lilith », j'ai laissé "Si c'est un homme". Je me suis rappelé que je le lisais "Lilith" il y a 17 ans pendant que Line accouchait et que mon beau frère le lisait aussi quelques mois plus tard pendant que ma sœur accouchait.
Ce matin, en m’appliquant à conserver le souvenir de ce rêve, (pendant que je cherchais ma tête ?) je me disais qu’il me faisait du bien. Bien plus qu'un autre rêve qui me restait en mémoire, celui avec des cigognes éventrées sur des arbres morts.

Quand j’ai un beau bouquet comme ça, si je cherche profond dans ma tête, il est bien possible que je trouve camouflé quelque part le sentiment qui me fait tellement aimer les signes. Un sentiment flou, pas aussi précis que le plaisir que j’ai à exploiter ces petits événements auxquels je ne prête que le sens et l’importance que ma fantaisie veut bien leur donner, rien de magique ni de surnaturel, plutôt une façon de ne pas balayer négligemment ce que d’autres appellent les hasards et les coïncidences, sans que j'en fasse pour autant des manifestations de la providence. Ce serait un sentiment discret, timide, pas vraiment ridicule mais presque comique, un reste d’enfance : une envie de dire merci comme après avoir reçu un cadeau. Mais je ne sais pas à qui.

Edit du 15 avril 2007: la nouvelle s'appelle "Echec au temps", publiée dans "Le fabricant de miroirs"

 Combinatoire ambivalente.

Je m'aime et je me hais, d'aimer et de haïr, cet amour et cette haine, que j'ai pour toi.

 Un navire...

L'écriture est un navire
    qui m'a embarqué
    un jour de gros temps.→ plus

 Déshéritages

Sarah vit le fils d’Agar l’Egyptienne, que celle-ci avait enfanté à Abraham, se livrer à des railleries;
Et elle dit à Abraham : « renvoie cette esclave et son fils ; car le fils de cette esclave n’héritera point avec mon fils, avec Isaac. »
La chose déplut fort aux yeux d’Abraham, à cause de son fils.
Mais Dieu dit à Abraham : « ne sois pas mécontent au sujet de l’enfant et de ton esclave ; pour tout ce que Sarah te dit, écoute sa voix ; car c’est par la postérité d’Isaac que ton nom sera nommé.
Mais le fils de cette esclave aussi, je le ferai devenir une nation, parce qu’il est ta progéniture. »
(Chapitre 21; versets 9-13)

21 avril 2002

Sandrine et Djemel sont arrivés dans l’après midi et les enfants refont connaissance comme font les enfants, en alternant les courses, les jeux, les cris et les bouderies. Une ou deux fois, Léa vient poser ses 8 ans sur les genoux de son père qui lui caresse les cheveux et continue à ponctuer la discussion de son rire tonitruant. On se donne des nouvelles, le boulot, l’école, la famille, la logistique du matin, les contraintes du soir, les amis. Les questions politiques, sont rapidement survolées en épluchant les patates, mais suffisamment pour savoir qu’il y a un vote socialiste, un vote écolo, un vote L.C.R., et une abstention. Chacun sa stratégie ou ses excuses, mais aucun d’entre nous ne motive son comportement électoral par une conviction idéologique. A l’opposé de cet éparpillement qui nous fait bien marrer, nous sommes tous d’accord pour voter Jospin comme un seul homme au deuxième tour.
Les enfants ne sont pas pressés de passer à table, alors on s’installe tranquillement pour regarder les résultats.
Djemel les reçoit comme un coup de massue sur le crâne et perd son hilarité pour le reste de la soirée.
Deux juives, un arabe et un juif se sont sentis cons ce soir là.
Ils se sont sentis coupables et floués, mais pour moi, il en reste aussi quelque chose de cocasse.

11 novembre 2006

Léa chante d’une voie douce, mélodieuse et claire, devant une assemblée de femmes et d’hommes qui l’écoutent silencieusement en suivant les paroles dans leurs livres de prières. Une ou deux fois, elle ramène ses cheveux derrière son oreille et révèle les ondulations d’un pendentif en argent. Ses lunettes à monture noire et rectangulaire lui donnent un air de gamine délurée soudain absorbée par ce qu'elle est en train de faire. De cette voix qui doit chanter tous les tubes qu’on entend sur Skyrock ou Fun Radio, elle chante ce qu’elle lit dans le parchemin du sefer torah déroulé sur un grand pupitre au centre de la synagogue.
Après, elle fond en larmes dans les bras de Sandrine.
Je regarde dans la direction de Djemel mais je n’arrive pas à savoir si il a la gorge aussi serrée que moi.
Line se passe un doigt sous la paupière inférieure.

Il est d’usage pour la bat mitsvah, de faire un discours en reprenant un passage de la paracha qui vient d’être lue. Il se trouve, et ce n’est pas une mince coïncidence, que la paracha de Léa, raconte entre autres choses l’histoire d’Ismaël, et Léa ne tourne pas autour du pot. Elle entre directement dans le vif du sujet, l’héritage, le conflit, le bannissement, les juifs et les arabes, son père et sa mère, Israël et la Palestine.
Ensuite, le rabbin la félicite, fait part de toute sa fierté et poursuit sur une interprétation comparée de certains récits dans la Torah et le Coran.

Pour moi, c’est du neuf dans du vieux, de l’inédit dans la tradition. Comme la plupart des synagogues, celle que je fréquente oblige les hommes et les femmes à prier séparément. En fait les hommes chantent, discutent ou s’engueulent au rez-de-chaussée en guettant le regard que les femmes leur accordent du haut de la mezzanine où s’échangent l’essentiel des informations concernant le prof de math de troisième, le prix des bottes et le dernier scandale du centre communautaire.
Je n’ai jamais assisté à un office au coté de Line, je n’ai jamais entendu de voie féminine lire dans le sefer torah, je n’ai jamais écouté ces airs connus, chantés par un cœur mixte. Ce plat dont je croyais savoir la saveur est tout à coup plus épicé. Il a suffit d’y rajouter du féminin, de le déguster en compagnie de Djemel et de sa famille, sans camoufler sous un excès d’édulcorant ce qu’il contient d’amertume, et me voilà tout chamboulé.

Djemel se dit libre penseur. Il aime Sandrine qui aurait bien pu être chrétienne, musulmane, athée ou bouddhiste, ça n’y aurait rien changé. Avant de se marier ils ont parlé de l’éducation qu’ils donneraient à leurs enfants et il n’a fait aucune difficulté pour accepter que Sandrine transmette son judaïsme. Il dit qu’il y retrouve des valeurs auxquelles il est attaché, et que maintenant c’est aux enfants de décider ce qu’ils vont faire du bagage qu’ils ont mis entre leurs mains. Respect.

12 novembre 2006

La peau de mandarine dans la tasse de café vide, les miettes de pain sur la nappe blanche, Françoise et Christian ont finit leur petit déjeuner quand nous arrivons chez eux, mais de toute évidence, ils n’ont pas envie de quitter la table autour de laquelle nous accomplissons le rituel des amis qui ne se sont pas vus depuis plusieurs mois : embrassades, nouvelles, Ségolène, sondages, Ségolène, Nicolas, Ségolène, Dominique, Ségolène, et alors qu’est-ce que vous racontez ? Alors on vous raconte la cérémonie de Léa.
Antoine fait une remarque sur le verbe utilisé pour décrire le comportement d’Ismaël et je m’esclaffe à nouveau devant les allitérations de l’existence en lui expliquant que j’ai fait la même observation à Line.
Il faut absolument éclaircir ce point qui mérite d’aller enquêter précisément dans les textes. D’une façon ou d’une autre on se débrouille pour décortiquer au moins un verset à chaque rencontre. C’est un jeu qui n’autorise pas les références externes au texte, mais qui permet tous les débordements, toutes les exagérations (comme le dit joliment Marie Balmary dans « Le moine et la psychanaliste », livre dont je dois la lecture à walkmann).
Ce jeu n’intéresse pas tout le monde. Françoise et Line y voient plutôt une forme de masturbation intellectuelle, de dissection futile, et de retard pris sur le programme de la journée.
Comme on a l’air de s’amuser sérieusement et qu’elles ont des tas de choses à se dire, tout se passe bien.


- Alors donc, (i) le texte hébraïque dit MeTSaHeK et la bible du Rabbinat Français traduit « se livre à des railleries ». Sarah voit Ismaël en train de MeTSaHeK. (ii) Le nom d’Isaac s’écrit YTSHaK ( qui fait rire) en hébreu. (iii) Les deux termes sont construits sur la même racine d’un mot de trois lettres: le TSadeh, le Het et le Kof, et ce mot signifie rire.

- Oui, c’est pas banal, cette proximité. Si YTSHaK c’est celui qui fait rire, Ismaël, c’est celui qui rit. En quoi est-ce à ce point répréhensible de rire, surtout si on a un frère qui fait rire. Faire ce que demande Sarah c’est un peu comme déguiser son fils en clown et chasser son demi frère dès qu’il en rigole.

- Sauf que YTSHaK n’est pas déguisé et qu’il n’est pas dit qu’Ismaël rit uniquement au sujet d’Isaac. On peut comprendre qu’Ismaël rit de tout, une forme de dérision ou d’ironie permanente. Un rire qui remet en cause tout ce qu’il regarde et ce n’est pas anodin.

- Pas anodin…. bien sûr. D’autant que YTSHaK ne se nomme pas ainsi par hasard. La promesse de sa naissance a fait rire Sarah, sa future mère, parce qu’elle n’y croyait plus. Elle ne l’espérait plus mais l’espérait encore. Ce qui était devenu totalement improbable redevenait possible. Brutalement l’histoire tenait des promesses qui semblaient avoir été passées aux oubliettes. On peut donc penser que son fils se nomme YTSHaK, car il incarne la capacité a changer le cours des choses, de façon inattendue et réjouissante. YTSHaK fait rire en apportant une joie inespérée dans un univers de désolation. Il est comme l’annonce d’une guérison à un malade qui se croyait incurable.

- Exactement puisqu’il est une promesse d’enfant faite à une femme stérile. Et s’il porte ce nom, on peut penser que cette capacité à changer le cours des choses, c’est aussi le projet qui pèse sur ses épaules. Alors, il est possible de reconsidérer le comportement d’Ismaël en train de MeTSaHeK, de rire de tout et en particulier de cette promesse de l’avenir, de cette attente fébrile du nouveau qui peut infléchir une histoire. C’est une remise en cause radicale du projet Abrahamique.

- Autrement dit, quand Ismaël MeTSaHeK (tourne en dérision), il apporte la déception là où on attend la joie, le découragement là où on attend l’espoir. Et YTSHaK devient un clown triste sous le regard de son demi frère, il baisse le bras et se met à pleurer.

- On peut dire ça comme ça. On peut dire aussi qu’Ismaël ne le fait pas n’importe comment, puisqu’en utilisant le rire, il s’approprie la substance, les fibres et même le nom d’YTSHaK. Il l’absorbe et le ressort pour en faire un instrument d’anéantissement. Une forme d’anthropophagie symbolique.

- On avait dit qu’on pouvait exagérer mais là c’est un peu fort. Par contre ça pose le problème de l’héritage qui préoccupe Sarah. L’attitude d’Ismaël est antinomique avec le projet formé pour Isaac, il le ridiculise. Il rit au dépend de celui qui fait rire, le rend forcément triste, et devient le seul à pouvoir rire. Symboliquement il déshérite Isaac, en inversant le sens et en obtenant le monopole du rire. Le comportement d’Ismaël fait peser ce danger d’inversion et Sarah ne voit comme seule solution que de l’écarter définitivement.

- Bon d'accord pour ça. Sarah veut chasser définitivement Ismaël parce que son attitude est à la fois une appropriation de l’héritage, une annihilation du projet et une inversion du sens du rire, le tout étant inconciliable avec l’avenir espéré pour Isaac. D’accord. Mais prenons le point de vue d’Ismaël.

- Ismaël… oui. Il est l’aîné et jusqu’à l’improbable naissance d’Isaac, il est le seul héritier. Maintenant il doit partager avec le fils tardif de la favorite de son père. Qu’un grand frère se moque du petit, le raille, ce n’est ni la première ni la dernière fois. S’il fallait bannir de la famille tout ceux qui ont dit un jour à leur petit frère en se tapant sur le ventre « oh mais t’as pas vu la gueule de ton château de sable ! », on a pas fini.

- Effectivement. On pourrait s’attendre à une tentative de conciliation de la part des parents : remise à plat des principes d’éducation, rappel des règles, menace de sanction, sanctions, intervention de la psychologue scolaire voire psychothérapie familiale. Rien de tout ça.

- Non rien de tout ça. Pas de deuxième chance, sanction immédiate et quelle sanction ! D’un coup sec et irrémédiable, le voilà déshérité et chassé, directement dans le désert sans dessert, la mort assurée, par condamnation sans jugement. Tu peux tourner ça dans tous les sens, c’est totalement injuste et on comprendrait qu’Ismaël en conçoive un ressentiment éternel.

- Il n'y a pas qu'Ismaël qui soit choqué. Abraham aussi. Et pour justifier la demande de Sarah, il n'y a aucune bonne raison, le jugement ne repose pas sur la gravité du comportement d'Ismaël, on ne fait aucune référence à une proportionnalité entre la faute et la sanction, rien de tout cela. C'est Dieu lui même qui doit intervenir pour convaincre Abraham, c'est dire s'il était réticent, et deux arguments sont utilisés: écoute ta femme, elle voit plus loin que toi et t'inquiète, Ismaël lui aussi deviendra une nation.

- Donc même si on comprend mieux, le caractère antinomique de la promesse dont témoigne l'existence d'Isaac et l'attitude sceptique et ironique d'Ismaël, on pourrait dire qu'Ismaël ne mérite en rien une telle punition. En gros, n’en profite pas pour déshériter le demi frère de ton fils s'il se moque de lui.

- OK. Tu prends du sucre dans ton café?
Autre chose. Dans son discours, Léa cherchait dans le texte biblique un indice permettant d’espérer une réconciliation possible entre les deux frères et elle a fait référence à la mort d’Abraham.

Abraham défaillit et mourut, dans une heureuse vieillesse, âgé et satisfait ; et il rejoignit ses pères. Il fut inhumé par Isaac et Ismaël, ses fils, dans le caveau de Makpëla, dans le domaine d’Efron, fils de Çohar, le Héthéen, qui est en face de Mambré.
(Chapitre 25, versets 8 et 9)

- C’est vraiment étonnant. Isaac et Ismaël se retrouvent à l’enterrement de leur père et tout à l’air de bien se passer. Isaac ne se fait pas le porte-parole de sa mère pour prolonger la séparation, et surtout Ismaël semble avoir pardonné l’injustice qui lui a été faite mais en plus ne réclame rien. Il pourrait réellement en vouloir (c’est un euphémisme) à Isaac dont l’existence a failli lui coûté la vie

- En fait, rien ne dit qu’il y ait eu un conflit entre eux. Leur vie disjointe est un héritage légué par une décision de Sarah, appuyée par Dieu, accomplie par Abraham, mais qui a été prise sans aucune participation des frères. Eux ne se sont jamais affrontés et nul ne saura s’ils l’auraient fait s’ils avaient vécu ensemble. On aurait pu s’attendre à une reprise de la querelle, comme on fait habituellement dès qu’il est question d’héritage, mais là, non. A la mort du père, mais dans son souvenir, ils refusent le lègue du conflit.

- Tu veux dire qu’ils se réconcilient en se déshéritant de l’histoire qui les a dressée l’un contre l’autre.

- Oui, et si on pouvait, nous aussi, se déshériter de l’histoire qui nous a dressée les uns contre les autres, on pourrait espérer un état binational Israélo-palestinien.

- Tu déconnes ?!

- Pas vraiment.


En rédigeant, j'ai pensé à la caricature qui est la reprise des traits qui constituent ce qu'on représente mais en perverti la lecture, et ça m'a rappelé ça



 Morcellement d'un sujet

Moa : Regarde la mine que tu as. Tu es blessé? mutilé? humilié? endeuillé? Tu veux rejoindre le troupeau des indignés, des outragés, des révoltés, qui bêlent en coeur en faisant des calculs de proportionalités avec la vie et la mort des hommes comme toi tu faisais en sixième avec le prix des cerises et des abricots?
Exercice n°6 : Poser la vie de deux soldats israéliens au numérateur, la mort de 400 civils libanais au dénominateur, faire le produit en croix des combattants du Hezbollah, en déduire le PPCD et le nombre de victimes à Nahariya.

I : Je ne veux aller nulle part. Je suis cloué par le dégoût et la tristesse. Je reste assis et je pleure sur les fils et les filles du Liban. Ils avançaient enfin avec confiance sur leur champs devenu fertile. Mais d’autre en ont fait un champs de bataille, ils ont posé des mines et d’autres encore ont lâché des bombes et leur sang fait des éclaboussures sur les écrans plats des téléviseurs. La nausée ne me quitte pas.

Ich : Je vois bien que tu pleures, mais comme tout le monde tu as la nausée sélective. Tu serais bien hypocrite si tu prétendais que toutes les souffrances des hommes te font souffrir de la même façon. Pour voir, je pourrais te relire la liste des civils innocents qui n’ont pas lu leur faire-part de décès dans la presse. La plupart sont publiés quelque part, pourtant, il suffit d’être vigilant, mais les morts ne lisent pas et ne sauront jamais ce que nous faisons de leur disparition.

Je : Ne me parle pas encore de proportionnalité. La douleur du blessé ne donne pas la mesure de sa blessure, et ta souffrance quand tu le regardes n’est pas à la mesure de sa douleur. Qui va dire le contraire. Ce serait obscène de me demander pour quelle victime j’ai le plus d’empathie.


Ani : Ne me la fais pas à moi. Tu veux cacher ce qui t’attriste : cette nouvelle tâche sur le drapeau d’Israël. Après toutes ces années, tu voulais encore croire que le peuple juif peut exister sans emmerder le monde. Si tu veux prendre le deuil, porte celui de tes illusions. Déchire ta chemise, retourne les miroirs et assieds toi dans la cendre, mais fait l’effort de savoir précisément sur quoi tu pleures, car à chaque fois que tu te trompes, tu accouches d’un fantôme.


Me : Je n’ai plus d’illusions. Elles sont mortes en 1982. On enterrait mon grand père et on entrait au Liban. Je veux rester à l’écart, résister à mes atavismes et fuir tout conflit qui m’obligerait à me battre pour autre chose que mon humanité. Regarde les, tous ceux-là, qui croient défendre une juste cause et qui ne savent offrir au ciel que le phallus priapique d’un fusil mitrailleur. Je ne veux rien ajouter dans le compte commun de la détresse.


Ego : Tu simules le détachement et la sagesse mais personne ne te croit et tu ne pourrais même pas te convaincre toi même. Ne fais pas semblant. Le mot juif (ou jude ou jewish) te saute à la gueule sans permission et focalise ton attention même si ton regard est perdu au milieu d’une édition de la pléiade dont tu tournes les pages distraitement sans aucune intention de lire. Si tu entends parler d’Israël, tes entrailles réagissent bien avant que ne pointe le plus petit début de réflexion. Tu ne pourras jamais t’en libérer, tu n’as pas ce choix. Le peuple juif est ton fardeau et tu en es. Tout ce qui est fait en son nom, c’est un peu toi qui le fait. Alors ouvre ta grande gueule, prend ta part et dis que tu n’arrêteras pas de gueuler tant qu’Israël n’aura pas cessé d’ajouter aux souffrances du peuple palestinien.


Io : Ta mauvaise conscience est pitoyable et te fait ressembler à un rêveur suicidaire. Cette guerre du Liban n’a pas grand chose à voir avec le problème israélo-palestinien. Ce qui est en jeu, c’est l’existence de l’Etat d’Israël. Si tu y tiens, ne rejoins pas la cacophonie des avis, des analyses, des opinions et des jugements. Va faire un tour sur la blogosphère, et vois ce flot de haine appelant à l’effacement des « nasionistes et des terrosioniste ». Entends ceux qui pensent qu’Israël est une parenthèse de l’histoire, et que la réconciliation entre l’occident et l’orient, vaut bien un sacrifice. Imagine le Proche-Orient sans Israël, pense à la façon dont les gouvernements arabes ont toujours instrumentalisé la cause palestinienne et tu comprendras que ce serait probablement une catastrophe pour les palestiniens aussi.


Muy : Tu me gonfles avec tes prophéties à la con. Tu t’affligeais de voir qu’on importait ce conflit dans les banlieues françaises et voilà que maintenant tu l’internalises. Les Palestiniens et les Israéliens sont comme des pions qui auraient suffisamment d’autonomie pour s’entretuer mais pas suffisamment pour s’arracher aux mains des joueurs qui les manipulent. Toi, tu ne connais rien à rien, tu ne peux rien changer à quoi que ce soit, tu es ignorant et impuissant, alors au moins ne fais pas l’imbécile présomptueux. Continue, épluche les dépêches et les éditoriaux, explore le net pour voir comment la guerre résonne, confronte les informations le matin, les histoires à midi, les arguments le soir et les cauchemars la nuit. Et pleure, ça fait passer la nausée.

Sono : Toi, tu es le pire d’entre-nous. Moi, je sais, je rêve.

Nous : J’ai froid.

 Pousser la porte

  • walkman
  • Mercredi 19/07/2006
  • 14:46
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L'obscurité
ni la nuit, ni le silence,
L'obscurité
comme des secrets chuchotés
une vie sous le monde
des secousses des sanglots
des douceurs et des douleurs.
L'obscurité est un territoire
où la vérité est tapie
à l'abri des pierres et des tentures
entre merveilles et mensonges
terreurs et trésors.

Mais une main, puis un bras,
une épaule.
Et jeté là sur le trottoir
le visage levé vers le ciel,
à recevoir la bénédiction de la lumière
comme un cri, comme un bain,
une vérité nue, ruisselante.

Boire la lumière à pleine vie.

 

 Zidane ou le rêve du dramaturge.

Juste avant d’en sortir, Zidane a détruit les idoles du temple. Ce temple où il était consacré.

Au plus haut de sa gloire, au terme ultime de ses exploits, il lèse le foot, ses règles, ses supporters, les média, son équipe, son drapeau, sa nation. Et idole parmi ces idoles, il se lèse lui-même.

Avec le décalage qu’il faut, au moment le plus opportun, dans la plus grande salle médiatique du monde, au risque de la violence, il se donne en spectacle même à ceux que le foot indiffère. Il joue sa dignité individuelle contre la victoire collective. Juste à ce moment et à cet endroit là, il fait de l’anti-foot.

Le soir même, les gardiens du temple en faisaient leur champion. Normal.

Si j’étais dramaturge et désireux de susciter des débats enflammés et des émotions contradictoires à propos d'un acte banal (un coup de tête contre une insulte), je pâlirais d’envie devant cette séquence parfaite, parfaitement jouée.

Et il n’y a eu ni mort ni blessé.

 Ecart


Ils croient que leur histoire les a nourris comme une mère.
Ils parlent de racines, de fidélité et de justice.
Il ne savent pas que l'histoire est cannibale.
Elle a posé ses ventouses sur leurs entrailles et les dévore dans des guerres de fantômes.
Faut-il se tenir à l'écart?



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