Colloques singuliers

Les choses ne s’arrangent pas et ça se voit dès qu’elle sort de la salle d’attente. Pourtant elle commence par me parler de l’article sur les indiens Micmac qu'elle lisait en attendant.
Nous faisons le bilan détaillé de ses douleurs pour conclure qu'il n'y a pas de progrès sensible, mais pas d'aggravation non plus. Je l’examine pour l’en assurer et je lui pose la seule question qui comptera pour aujourd'hui:

- Vous prenez toujours le Deroxat ?

- Non. Je l'ai arrêté mais je n’aurais pas du. Ça ne va pas en ce moment. Je ne peux rien dire. J’ai les larmes qui viennent immédiatement.

- et vous savez ce qui vous fait pleurer ?

Je regarde gentiment ses yeux humides pour atténuer mon indélicatesse.
En cherchant un mouchoir, elle répond:

- pff ! bien sûr que je sais... Mais j’ai toujours été comme ça. C’est probablement un problème de chimie du cerveau.

Je sais qu’elle élève sa petite fille. Elle l'élève parce que sa mère est morte et que son père l'a abandonnée. Le père de cette enfant, c'est son fils à elle.

- La vie est dure aussi, non ?

- Oui bien sur. Mais mon mari lui... on vit la meme chose… quoi qu’il arrive, tous les matins, il lit son journal... Tous les jours, il fait pareil…rien ne l’atteint. S'il n'y avait pas la petite, je resterais des jours sans me laver. Des fois je l’enviais. Quand on a pas toutes ces habitudes, on les envie non ? ... d’être aussi fort. Mais des fois je me sens supérieure, hein, de ressentir les choses. Mais en fait, ça fait plus mal. Et ça sert à quoi d’être romantique comme ça quand on est pas poète...Vous souriez ? pourquoi vous souriez comme ça ?

-He bien justement, je trouve que vous le dites bien.

-Vous trouvez ? ... c’est parce que je le ressens bien aussi.

Elle se mouche.