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 Déshéritages

 

Sarah vit le fils d’Agar l’Egyptienne, que celle-ci avait enfanté à Abraham, se livrer à des railleries;
Et elle dit à Abraham : « renvoie cette esclave et son fils ; car le fils de cette esclave n’héritera point avec mon fils, avec Isaac. »
La chose déplut fort aux yeux d’Abraham, à cause de son fils.
Mais Dieu dit à Abraham : « ne sois pas mécontent au sujet de l’enfant et de ton esclave ; pour tout ce que Sarah te dit, écoute sa voix ; car c’est par la postérité d’Isaac que ton nom sera nommé.
Mais le fils de cette esclave aussi, je le ferai devenir une nation, parce qu’il est ta progéniture. »
(Chapitre 21; versets 9-13)

21 avril 2002

Sandrine et Djemel sont arrivés dans l’après midi et les enfants refont connaissance comme font les enfants, en alternant les courses, les jeux, les cris et les bouderies. Une ou deux fois, Léa vient poser ses 8 ans sur les genoux de son père qui lui caresse les cheveux et continue à ponctuer la discussion de son rire tonitruant. On se donne des nouvelles, le boulot, l’école, la famille, la logistique du matin, les contraintes du soir, les amis. Les questions politiques, sont rapidement survolées en épluchant les patates, mais suffisamment pour savoir qu’il y a un vote socialiste, un vote écolo, un vote L.C.R., et une abstention. Chacun sa stratégie ou ses excuses, mais aucun d’entre nous ne motive son comportement électoral par une conviction idéologique. A l’opposé de cet éparpillement qui nous fait bien marrer, nous sommes tous d’accord pour voter Jospin comme un seul homme au deuxième tour.
Les enfants ne sont pas pressés de passer à table, alors on s’installe tranquillement pour regarder les résultats.
Djemel les reçoit comme un coup de massue sur le crâne et perd son hilarité pour le reste de la soirée.
Deux juives, un arabe et un juif se sont sentis cons ce soir là.
Ils se sont sentis coupables et floués, mais pour moi, il en reste aussi quelque chose de cocasse.

11 novembre 2006

Léa chante d’une voie douce, mélodieuse et claire, devant une assemblée de femmes et d’hommes qui l’écoutent silencieusement en suivant les paroles dans leurs livres de prières. Une ou deux fois, elle ramène ses cheveux derrière son oreille et révèle les ondulations d’un pendentif en argent. Ses lunettes à monture noire et rectangulaire lui donnent un air de gamine délurée soudain absorbée par ce qu'elle est en train de faire. De cette voix qui doit chanter tous les tubes qu’on entend sur Skyrock ou Fun Radio, elle chante ce qu’elle lit dans le parchemin du sefer torah déroulé sur un grand pupitre au centre de la synagogue.
Après, elle fond en larmes dans les bras de Sandrine.
Je regarde dans la direction de Djemel mais je n’arrive pas à savoir si il a la gorge aussi serrée que moi.
Line se passe un doigt sous la paupière inférieure.

Il est d’usage pour la bat mitsvah, de faire un discours en reprenant un passage de la paracha qui vient d’être lue. Il se trouve, et ce n’est pas une mince coïncidence, que la paracha de Léa, raconte entre autres choses l’histoire d’Ismaël, et Léa ne tourne pas autour du pot. Elle entre directement dans le vif du sujet, l’héritage, le conflit, le bannissement, les juifs et les arabes, son père et sa mère, Israël et la Palestine.
Ensuite, le rabbin la félicite, fait part de toute sa fierté et poursuit sur une interprétation comparée de certains récits dans la Torah et le Coran.

Pour moi, c’est du neuf dans du vieux, de l’inédit dans la tradition. Comme la plupart des synagogues, celle que je fréquente oblige les hommes et les femmes à prier séparément. En fait les hommes chantent, discutent ou s’engueulent au rez-de-chaussée en guettant le regard que les femmes leur accordent du haut de la mezzanine où s’échangent l’essentiel des informations concernant le prof de math de troisième, le prix des bottes et le dernier scandale du centre communautaire.
Je n’ai jamais assisté à un office au coté de Line, je n’ai jamais entendu de voie féminine lire dans le sefer torah, je n’ai jamais écouté ces airs connus, chantés par un cœur mixte. Ce plat dont je croyais savoir la saveur est tout à coup plus épicé. Il a suffit d’y rajouter du féminin, de le déguster en compagnie de Djemel et de sa famille, sans camoufler sous un excès d’édulcorant ce qu’il contient d’amertume, et me voilà tout chamboulé.

Djemel se dit libre penseur. Il aime Sandrine qui aurait bien pu être chrétienne, musulmane, athée ou bouddhiste, ça n’y aurait rien changé. Avant de se marier ils ont parlé de l’éducation qu’ils donneraient à leurs enfants et il n’a fait aucune difficulté pour accepter que Sandrine transmette son judaïsme. Il dit qu’il y retrouve des valeurs auxquelles il est attaché, et que maintenant c’est aux enfants de décider ce qu’ils vont faire du bagage qu’ils ont mis entre leurs mains. Respect.

12 novembre 2006

La peau de mandarine dans la tasse de café vide, les miettes de pain sur la nappe blanche, Françoise et Christian ont finit leur petit déjeuner quand nous arrivons chez eux, mais de toute évidence, ils n’ont pas envie de quitter la table autour de laquelle nous accomplissons le rituel des amis qui ne se sont pas vus depuis plusieurs mois : embrassades, nouvelles, Ségolène, sondages, Ségolène, Nicolas, Ségolène, Dominique, Ségolène, et alors qu’est-ce que vous racontez ? Alors on vous raconte la cérémonie de Léa.
Antoine fait une remarque sur le verbe utilisé pour décrire le comportement d’Ismaël et je m’esclaffe à nouveau devant les allitérations de l’existence en lui expliquant que j’ai fait la même observation à Line.
Il faut absolument éclaircir ce point qui mérite d’aller enquêter précisément dans les textes. D’une façon ou d’une autre on se débrouille pour décortiquer au moins un verset à chaque rencontre. C’est un jeu qui n’autorise pas les références externes au texte, mais qui permet tous les débordements, toutes les exagérations (comme le dit joliment Marie Balmary dans « Le moine et la psychanaliste », livre dont je dois la lecture à walkmann).
Ce jeu n’intéresse pas tout le monde. Françoise et Line y voient plutôt une forme de masturbation intellectuelle, de dissection futile, et de retard pris sur le programme de la journée.
Comme on a l’air de s’amuser sérieusement et qu’elles ont des tas de choses à se dire, tout se passe bien.


- Alors donc, (i) le texte hébraïque dit MeTSaHeK et la bible du Rabbinat Français traduit « se livre à des railleries ». Sarah voit Ismaël en train de MeTSaHeK. (ii) Le nom d’Isaac s’écrit YTSHaK ( qui fait rire) en hébreu. (iii) Les deux termes sont construits sur la même racine d’un mot de trois lettres: le TSadeh, le Het et le Kof, et ce mot signifie rire.

- Oui, c’est pas banal, cette proximité. Si YTSHaK c’est celui qui fait rire, Ismaël, c’est celui qui rit. En quoi est-ce à ce point répréhensible de rire, surtout si on a un frère qui fait rire. Faire ce que demande Sarah c’est un peu comme déguiser son fils en clown et chasser son demi frère dès qu’il en rigole.

- Sauf que YTSHaK n’est pas déguisé et qu’il n’est pas dit qu’Ismaël rit uniquement au sujet d’Isaac. On peut comprendre qu’Ismaël rit de tout, une forme de dérision ou d’ironie permanente. Un rire qui remet en cause tout ce qu’il regarde et ce n’est pas anodin.

- Pas anodin…. bien sûr. D’autant que YTSHaK ne se nomme pas ainsi par hasard. La promesse de sa naissance a fait rire Sarah, sa future mère, parce qu’elle n’y croyait plus. Elle ne l’espérait plus mais l’espérait encore. Ce qui était devenu totalement improbable redevenait possible. Brutalement l’histoire tenait des promesses qui semblaient avoir été passées aux oubliettes. On peut donc penser que son fils se nomme YTSHaK, car il incarne la capacité a changer le cours des choses, de façon inattendue et réjouissante. YTSHaK fait rire en apportant une joie inespérée dans un univers de désolation. Il est comme l’annonce d’une guérison à un malade qui se croyait incurable.

- Exactement puisqu’il est une promesse d’enfant faite à une femme stérile. Et s’il porte ce nom, on peut penser que cette capacité à changer le cours des choses, c’est aussi le projet qui pèse sur ses épaules. Alors, il est possible de reconsidérer le comportement d’Ismaël en train de MeTSaHeK, de rire de tout et en particulier de cette promesse de l’avenir, de cette attente fébrile du nouveau qui peut infléchir une histoire. C’est une remise en cause radicale du projet Abrahamique.

- Autrement dit, quand Ismaël MeTSaHeK (tourne en dérision), il apporte la déception là où on attend la joie, le découragement là où on attend l’espoir. Et YTSHaK devient un clown triste sous le regard de son demi frère, il baisse le bras et se met à pleurer.

- On peut dire ça comme ça. On peut dire aussi qu’Ismaël ne le fait pas n’importe comment, puisqu’en utilisant le rire, il s’approprie la substance, les fibres et même le nom d’YTSHaK. Il l’absorbe et le ressort pour en faire un instrument d’anéantissement. Une forme d’anthropophagie symbolique.

- On avait dit qu’on pouvait exagérer mais là c’est un peu fort. Par contre ça pose le problème de l’héritage qui préoccupe Sarah. L’attitude d’Ismaël est antinomique avec le projet formé pour Isaac, il le ridiculise. Il rit au dépend de celui qui fait rire, le rend forcément triste, et devient le seul à pouvoir rire. Symboliquement il déshérite Isaac, en inversant le sens et en obtenant le monopole du rire. Le comportement d’Ismaël fait peser ce danger d’inversion et Sarah ne voit comme seule solution que de l’écarter définitivement.

- Bon d'accord pour ça. Sarah veut chasser définitivement Ismaël parce que son attitude est à la fois une appropriation de l’héritage, une annihilation du projet et une inversion du sens du rire, le tout étant inconciliable avec l’avenir espéré pour Isaac. D’accord. Mais prenons le point de vue d’Ismaël.

- Ismaël… oui. Il est l’aîné et jusqu’à l’improbable naissance d’Isaac, il est le seul héritier. Maintenant il doit partager avec le fils tardif de la favorite de son père. Qu’un grand frère se moque du petit, le raille, ce n’est ni la première ni la dernière fois. S’il fallait bannir de la famille tout ceux qui ont dit un jour à leur petit frère en se tapant sur le ventre « oh mais t’as pas vu la gueule de ton château de sable ! », on a pas fini.

- Effectivement. On pourrait s’attendre à une tentative de conciliation de la part des parents : remise à plat des principes d’éducation, rappel des règles, menace de sanction, sanctions, intervention de la psychologue scolaire voire psychothérapie familiale. Rien de tout ça.

- Non rien de tout ça. Pas de deuxième chance, sanction immédiate et quelle sanction ! D’un coup sec et irrémédiable, le voilà déshérité et chassé, directement dans le désert sans dessert, la mort assurée, par condamnation sans jugement. Tu peux tourner ça dans tous les sens, c’est totalement injuste et on comprendrait qu’Ismaël en conçoive un ressentiment éternel.

- Il n'y a pas qu'Ismaël qui soit choqué. Abraham aussi. Et pour justifier la demande de Sarah, il n'y a aucune bonne raison, le jugement ne repose pas sur la gravité du comportement d'Ismaël, on ne fait aucune référence à une proportionnalité entre la faute et la sanction, rien de tout cela. C'est Dieu lui même qui doit intervenir pour convaincre Abraham, c'est dire s'il était réticent, et deux arguments sont utilisés: écoute ta femme, elle voit plus loin que toi et t'inquiète, Ismaël lui aussi deviendra une nation.

- Donc même si on comprend mieux, le caractère antinomique de la promesse dont témoigne l'existence d'Isaac et l'attitude sceptique et ironique d'Ismaël, on pourrait dire qu'Ismaël ne mérite en rien une telle punition. En gros, n’en profite pas pour déshériter le demi frère de ton fils s'il se moque de lui.

- OK. Tu prends du sucre dans ton café?
Autre chose. Dans son discours, Léa cherchait dans le texte biblique un indice permettant d’espérer une réconciliation possible entre les deux frères et elle a fait référence à la mort d’Abraham.

Abraham défaillit et mourut, dans une heureuse vieillesse, âgé et satisfait ; et il rejoignit ses pères. Il fut inhumé par Isaac et Ismaël, ses fils, dans le caveau de Makpëla, dans le domaine d’Efron, fils de Çohar, le Héthéen, qui est en face de Mambré.
(Chapitre 25, versets 8 et 9)

- C’est vraiment étonnant. Isaac et Ismaël se retrouvent à l’enterrement de leur père et tout à l’air de bien se passer. Isaac ne se fait pas le porte-parole de sa mère pour prolonger la séparation, et surtout Ismaël semble avoir pardonné l’injustice qui lui a été faite mais en plus ne réclame rien. Il pourrait réellement en vouloir (c’est un euphémisme) à Isaac dont l’existence a failli lui coûté la vie

- En fait, rien ne dit qu’il y ait eu un conflit entre eux. Leur vie disjointe est un héritage légué par une décision de Sarah, appuyée par Dieu, accomplie par Abraham, mais qui a été prise sans aucune participation des frères. Eux ne se sont jamais affrontés et nul ne saura s’ils l’auraient fait s’ils avaient vécu ensemble. On aurait pu s’attendre à une reprise de la querelle, comme on fait habituellement dès qu’il est question d’héritage, mais là, non. A la mort du père, mais dans son souvenir, ils refusent le lègue du conflit.

- Tu veux dire qu’ils se réconcilient en se déshéritant de l’histoire qui les a dressée l’un contre l’autre.

- Oui, et si on pouvait, nous aussi, se déshériter de l’histoire qui nous a dressée les uns contre les autres, on pourrait espérer un état binational Israélo-palestinien.

- Tu déconnes ?!

- Pas vraiment.


En rédigeant, j'ai pensé à la caricature qui est la reprise des traits qui constituent ce qu'on représente mais en perverti la lecture, et ça m'a rappelé ça



Commentaires

Ah lala Donydami,
J'avoue que je me vois mal passer un week-end avec toi, si c'est pour décortiquer les vieilles Ecritures!
Remarque, je préfère ça à l'étude comparée des résultats de l'OM et de Ségolène.
Une très bonne narration, imagée, dans laquelle le caractère très doux des participants ressort.
Leur esprit de tolérance aussi.
Ayant été élevé dans un collège d'intégristes Chrétiens qui me filaient des trempes chaque jour pour mon caractère peu docile, je n'en éprouvais pourtant pas moins les états de foi  dûs au matraquage des écoles religieuses, toutes marques confondues.
Je priais notamment pour la conversion de mon athée de père.
Comme tu le sais, le personnage d'Abraham fait partie du truc Chrétien.
Je n'ai que peu de respect pour ce mec-là, et le passage fort intéressant que tu nous décris renforce mon antipathie: il est pour moi l'épithome de l'homme qui a délégué une fois pour toutes sa volonté et sa pensée à une autorité externe.
Je savais déjà qu'il ne s'était pas trop gratté la tête avant de décider d'égorger Isaac (geste miséricordieusement arrêté par les instances supérieures), j'apprends maintenant que ce petit mec déshérite sans raison, et abandonne sans autre motif que la jalousie de son épouse, son fils naturel.
Ce gars-là veut surtout s'assurer que le patron son dieu sera content de lui et que sa place de parking au Paradis est assurée.
En vertu de quoi, il est prêt à tout. Pour ma part, je donnerai ma vie pour ma progéniture, dieu ou pas dieu.
Tout ce que je déteste, cet Abraham.
PS Je ne vois pas très bien le rapport de cet épisode avec le lien sur la caricature?

 

 

Re: Re:

Complex, ne fais pas semblant de confondre monothéisme et monogamie!

 

 

Re: Re: Re: Re: Re:

Tu penses réellement que les femmes attendent de toi que tu sois juste et bon?

 

 

Re:

Ah lala mon cher leblase, comme j'aimerais passer un WE avec toi pour décortiquer les vieilles écritures! On reprendrait par exemple la biographie d'Abraham l'iconoclaste, qui comme toi a quitté la maison de son père qui lui promettait pourtant un bel avenir, a vécu une expérience mystique dans le désert et a interrogé sans retenue le Dieu qu'il venait de se découvrir sur les questions de justice et le nombre de justes qui restaient à Sodome. On relirait l'histoire du non-sacrifice d'Isaac et on découvrirait peut-être un autre sens et un autre personnage que ceux que t'ont inculqués tes maîtres à coup de règles sur les ongles. Je ne te parle pas de te proposer une lecture qu'on m'aurait enseignée dans une école (j'ai bénéficié d'un enseignement biblique proche de zéro), mais d'un dialogue qui enlève les couches successives déposées sur ces textes pour les ouvrir à nouveau comme on épluche une mandarine. Et tu verrais comme c'est savoureux.  Le poulet au citron et la fondue au chocolat aussi.
PS: le lien sur la caricature montre le pouvoir destructeur de ce processus qui consiste à prendre ses traits marquants, constitutifs, immédiatement reconnaissable, et à les déformer pour les rendre ridicules, dérisoires, risibles.Ce pouvoir de nuisance, d'annihilation de la caricature, part en vrille dans ce travail qui fait la caricature de la caricature de la caricature de la caricature. Si tu as l'impression que je t'emmène dans un tambour de lessiveuse, c'est normal, c'est la sensation que ça me fait.

 

 

Re: Re:

Donydami,
Okay, passons un WE ensemble au lavomatic: tu m'expliqueras ton Abraham qui ne ressemble pas à celui dont on m'a bassiné les oreilles (très joliment dessinées par ailleurs) pendant le programme essorage.
Ensuite, poulet au citron ou canard à la mandarine.
Pour la fondue au chocolat, nous devrons négocier: j'ai connu trop de fondus de Dieu, un peu partout dans le monde, et je suis ce qu'on pourrait appeler "The Usual Circonspect".
Mais pas sceptique.

 

 

Un récit , à mes yeux,trés cinematographique ...les scènes de la cuisine ou celles de  la synagogue sont trés vivantes, je sens même l'odeur des cierges et de la mandarine...y compris la conversation entre amis qui lissent, polissent , les mots d'un texte ancien ...j'aime beaucoup l'idée de se déshériter d'une histoire que nous ont légué ...aie mes aieux!

 

 

Re:

Elle, il n'y a pas de cierge dans une synagogue, c'est incroyable ce que la lecture peut produire comme odeur!
Erri de Luca que tu apprécies, écrit de très belles pages sur l'étude de ces textes.

 

 

Re: Re:

Je partage beaucoup des valeurs d'Erri de Luca, mais j'accroche beaucoup moins avec  ces "noyaux d'olive",de ses corps-à corps quotidiens avec la Bible, je suis sûrement plus non-croyante que lui...et puisque la perche est tendue...

Valeurs!

"J'attache de la valeur à toute forme de vie, à la neige, la fraise, la mouche.
J'attache de la valeur au règne animal et à la république des étoiles.
J'attache de la valeur au vin tant que dure le repas, au sourire involontaire, à la fatigue de celui qui ne s'est pas épargné, à deux vieux qui s'aiment.
J'attache de la valeur à ce qui demain ne vaudra plus rien et à ce qui aujourd'hui vaut encore peu de choses.
J'attache de la valeur à toutes les blessures.
J'attache de la valeur à économiser l'eau, à réparer une paire de soulier, à se taire à temps, à accourir à un cri, à demander la permission avant de s'assoir, à éprouver de la gratitude sans se souvenir de quoi.
J'attache de la valeur à savoir où se trouve le nord dans une pièce, quel est le nom du vent en train de sécher la lessive.
J'attache de la valeur au voyage vagabond, à la cloture de la moniale, à la patience du condamné quel que soit sa faute.
J'attache de la valeur à l'usage du verbe aimer et à l'hypothèse qu'il existe un créateur.
Bien de ces valeurs, je ne les ai pas connues." EDL

 

 

Re: Re: Re:

:)
Il parlait dans le poste tout à l'heure! Entre autre, il confirme qu'il n'est nul besoin d'être croyant pour s'approcher de ces textes.

 

 

Re: Re: Re: Re:

Merci pour le lien.

Je suis  toujours "admirée " de la force de ses murmures ...ces textes sont , peut être , pour le lecteur  comme ces clous que les alpinistes laissent sur les parois de montagnes (lui  en alpiniste chevronné n'en plante  jamais), pour ouvrir la voie à d'autres et "tutoyer le ciel"...

 Ces textes anciens  ne sont pour moi qu'un des chemins possibles pour répondre au questionnement des hommes ...disons que pour l'instant je cherche ces réponses ailleurs.

En ce sens ,tu as raison, nul besoin d'être croyant.

 

 

Tu es un excellent conteur, tout se lit et se lie, avec une facilité déconcertante..

 

 

Re:

Toi tu es une excellente flatteuse. Mais pas que ça. Merci.

 

 

Je vois que ça disserte sévère par ici. Et après la psychanalyse, les écritures sacrées. Une continuité à l'envers.
Je n'y connais pas grand-chose mais en lisant ton billet, ça m'a fait penser à quelque chose de très caricatural : Isaac, c'est le sens, l'explication. Ismaël, c'est l'absurde, l'arrêt de la quête du sens. Une sorte de positif/négatif.
Je vous épargne les développements. J'écris à brûle-pourpoint, seul moyen pour qu'une inculte de mon rang ose émettre un avis en milieu cherchant.
Superbe narration, je n'ai pas vu le temps passer. C'est bon signe, non ?
Hug !

 

 

Re:

Pas exactement absurde, si absurde est une abolition du sens. Pour moi, Ismaël s'approprie le monopole du sens et du rire en ridiculisant ceux D'Isaac. Le sens est assimilé et inversé, pas aboli.

 

 

Re: Re:

Ismaël s'approprie le monopole du sens et du rire

Le rire est-il rire s'il n'est partagé?
L'éclat du rire qui ne se répercute de rire en rire comme le son de roche en roche, est-il vraiment un rire?

 

 

Re: Re: Re:

Et si un autre jour, à  l'Aube " Je ris au wasserfall qui s'échevela à travers les sapins: à la cime argentée, je reconnu la déesse"

Ou ce rire dont les enfants savent, dans la cour d'école, et surtout s'ils en font les frais, qu'il est un redoutable instrument de séparation.

 

 

Très intéressante proposition, plus creusée en effet.
mais plus que tout, cette notion de déshéritage me ramène indubitablement au sens du "se défaire de" psychanalytique. Bon je sais je suis un peu lourde avec ça.

Je disais qu'Ismaël était l'abolition du sens. S'il récupère le sens par le rire, l'inversion dont tu parles, pourrait-on dire, pour faire deux poids deux mesures entre ta proposition et la mienne, que le sens existe à partir du moment où on ne le cherche plus ?
Ne m'en veux pas pour le manque de clarté, j'ai la crève.
Hug !

 

 

Re:

Je ne sais pas ce la psychanalyse entend par "se défaire de" et je peux faire plus lourd que toi en précisant ce que j'entends pas déshéritage et qui découle de ce qui nous a paru remarquable dans l'attitude d'Ismaël et Isaac telle qu'elle est rapportée dans ces vieux textes. S'ils sont là tous les deux, c'est qu'ils assument ce qu'ils doivent à Abraham. Pour Isaac, cela va de soi, mais pour Ismaël, au contraire, c'est une façon de refaire ce qui a été défait par Abraham, et d'affirmer que même si Isaac en est la cause, il n'en porte pas la faute. Pour Isaac, accepter la présence d'Isamël, c'est une façon de rejeter la partie de l'héritage qui l'aurait incité à reconduire le décret prononcé par Sara.
En quelque sorte, ils tissent un nouveau lien après avoir choisi parmi les anciennes fibres celles qui conviennent à chacun d'eux et en y rajoutant de nouvelles. Pour le dire autrement, il ne sont ni dans la reproduction du modèle parental (éventuellement justifié par de gros mots comme fidélité, honneur) ni dans "du passé faisons table rase". Et cette étude m'a plut car elle m'a permis d'apprécier l'épaisseur de la démarche de Léa.

Enfin, ce qui est en jeu dans le texte, ce n'est pas ce qu'est Ismaël, c'est ce qu'il fait, et ce n'est pas ce que fait Isaac, c'est ce qu'il est. Ismaël rit du monde tel qu'il est, et Isaac est un rire devant le monde tel qu'il pourrait être. Et quand on trouve du sens, j'aurais plutôt tendance à penser qu'on en cherche encore. Un peu comme l'amour.

 

 

Savoureux

A chaque fois que je m'absente un peu longuement de la blogosphère, j'attends d'avoir du temps devant moi avant de repasser par ici. Pour pouvoir savourer sans précipitation.
Et à chaque fois ça vaut le coup.
Et à chaque fois je suis surprise.
Surprise de l'angle sous lequel ta plume arrive à me toucher.

Il y a des gens qui se disent écrivains, dans la blogosphère ou dans les librairies de papier.
Et puis il y a des gens qui écrivent...

 

 

Quelque chose m'échappe, en dehors du fait que j'adore ce genre de discussion et de coupage de cheveux en quarante-douze et en dehors du fait que je trouve la démarche de Léa d'une volonté louable et d'une profondeur admirable.

Sans déconner, est-ce que, réellement, on peut supposer que les gars qui ont écrit les saintes écritures (de quelle que religion que ce soit) ont eu réellement à l'esprit ce genre de considérations ? Est-ce que, réellement, on peut supposer que tous les niveaux de lecture sont cohérents et que les gugusses ne se sont jamais mélangé les pinceaux ? Est-ce qu'on peut vraiment supposer que quiconque, à partir de textes de ce genre, puisse avoir une idée (proche de moins de quarante-douze années-lumières) de qui était vraiment abraham ? Peut-on supposer qu'au fil des traductions, interprétations, glissement de sens des mots et expressions au sein d'une même langue à travers les siècles, changements d'organisations et de valeurs socio-éconimico-politico-chose, ..., on puisse en extraire autre chose que des généralités ? On puisse déduire ce qui est "anodin" ou pas, voulu ou pas, et par qui, dans les recoupements, connexions et allusions possibles ? Quand des gugusses imbus de leur "savoir" et de leur pouvoir se mettent à interpréter puis carrément réécrire des morceaux entiers de "bible" (au sens maintenant commun du terme, c'est à dire "livre servant de référence première à mon interprétation de la vie et à l'orientation de mes actes"), est-ce qu'on peut vraiment leur faire confiance sur la préservation du message initial, lui même d'une cohérence dont on pourrait douter ?

Et c'est pas de la provoc'
Je me pose vraiment la question.

 

 

Re:

Merci Jo.
Je fait plus que supposer qu'on peut en tirer autre chose que des généralités.
Pour tes autres questions, rééllement je ne sais pas. Mais je suppose que ces questions tu ne les aurais pas posées si j'avais ouvert l'Iliade.

 

 

Re: Re: Re: Re:

"je ne crois pas que se pose le problème de la connaissance de ce qui a été."
Non, pas pour les gens comme donydami et cellesceux dont il nous livre un morceau de vie.
mais pour d'autres si. La connaissance de ce qui a été, de ce qui est, de ce qui doit être et de ce qui devra être.
Comme si cette "connaissance" existait autrement que sous forme, justement, "d'interprétations, de questionnements et de leur confrontation" (d'idées pacifiques, la confrontation...)

 

 

Re: Re:

Tu as raison, "généralités" n'était pas le bon terme. Je m'en excuse. J'essayais d'exprimer quelque chose comme "interprétations" en opposition à "vérités". Quelque chose comme ce que dit complex plus haut (ou plus bas ?)

Et tu as raison également, si tu avais ouvert l'Iliade ou Hamlet, je n'aurais pas bronché.
Mais je ne crois pas que tu accordes la même importance à l'Iliade.
Et surtout, ce n'est pas Léa, ni toi, ni ton pote et vos décortiquages de textes qui me posent problème. Au contraire.
Ce qui me gêne c'est que... en fait, je crois bien que personne ne meurt aujourd'hui pour une divergence d'interprétation de l'Iliade.

 

 

Re: Re: Re:

Jo
Suivant ton raisonnement et observant que le couteau à pain est une arme blanche meurtrière, j'ai essayé de trancher ma baguette avec une cuillère en bois; sans succès. Pourtant, je n'ai rien contre les cuillères en bois.

Je ne sais rien de ceux qui ont écrit ces textes ni de leurs intentions. Par contre, je sais que ces textes ont été lus, interprétés, étudiés, enseignés, parlés, et recopiés par des homo-sapiens d'il y a plus de 2000 ans et par leurs successeurs, pour arriver identiques jusqu'à moi ( je n'ai pas eu en main les manuscrits de la mer morte datant du deuxième siècle avant J.C., mais à ce qu'on dit, ils ne varient pas des textes à notre disposition).

Leur fréquentation permet d'avoir la certitude qu'ils échappent d'une part à une relativisation où se diluerait tout sens (on peut leur faire dire n'importe quoi) et d'autre part à une lecture rigide et univoque. Comme il est impossible de savoir comment on nage sans se mouiller (à part complex, peut-être) il est impossible d'approcher ce qu'on approche sans s'approcher de ces vieilles écritures. L'expression "lire aux éclats" me convient.

Je ne les considèrent pas comme indispensables, mais si les hommes s'en sont servi pour alimenter des conflits, ce n'est pas une raison suffisante pour les écarter. Au contraire, il m'arrive de croire qu'elles pourraient contribuer p(e)(a)nser les plaies.

 

 

p(e)(a)nser les plaies

donyami,
je ne crois pas avoir tenu un tel raisonnement.
Je ne crois pas avoir dit ni même insinué qu'il faille écarter ces textes.
Il me semble même avoir répété que l'usage que tes amis et toi semblez en faire me semble admirable.
J'en ai approché certains moi-même, et prends soin de les garder en mémoire, et de les confronter à ce que j'ai pu approcher de différent. Ils contribuent profondément à ma perception de l'humanité.

Ma réflexion a pris sa source, d'une part dans la notion de caricature, d'autre part dans ton dialogue avec leblase au sujet d'abraham, l'un le tenant pour un homme admirable, l'autre pour un type pour le moins antipathique.
Et j'ai extrapolé, essayant de comprendre avec vous pourquoi ce monde est à feu et à sang depuis des millénaires, en grande partie pour des raisons d'interprétation de ces textes et d'application de leur "vérité".

Mon pouce gauche garde à vie le souvenir discret de l'usage inadéquat d'un couteau à pain. Je continue pourtant de m'en servir (du pouce bien sûr, mais aussi du couteau). En essayant de comprendre ce qui s'est passé, pour éviter d'aller un jour jusqu'à l'amputation ;-)

Je suis désolée d'avoir pollué ton billet avec mes commentaires qui, j'en suis consciente, sont souvent agressifs. Une habitude de blogosquat' dont j'ai du mal à me défaire et qui resurgit à chaque fois qu'un sujet me touche au coeur. J'espère ne pas t'avoir blessé.

 

 

Re: p(e)(a)nser les plaies

Il n'y a aucun soucis Jo. Tu squat ici quand tu veux.

 

 

Re: Re: Re: p(e)(a)nser les plaies

c'est un peu ce que j'avais dans l'idée...
je dois m'absenter
à bientôt

 

 

Hé, toubib, c'est voulu ou pas, l'attitude "septique" d'ismaël ? ;-)

 

 

Re:

ou pas. je corrige.

 

 

Re: Re:

Bien sûr que non, complex, ce n'est pas voulu, mais c'est normal qu'un toubib écrive puis relise "septique" sans que rien ne le frappe particulièrement, puisque ce mot fait aussi partie de son vocabulaire.
Mais celui qui le relirait dans un siècle, dans une traduction roumaine où "septique" et "sceptique" ne se ressemblent pas, pourrait tirer des conclusions erronées de ce qui a été exprimé.

 

 

Re: Re: Re: Re:

complex,
de quoi tu parles ?
que viennent faire "suivre mes traces" ou "s'approcher de moi" dans cette discussion !?
overdose de yaourt aux figues ?

 

 

Re: Re: Re: Re: Re: Re:

Je connais quelqu'un qui dit souvent : "l'essentiel étant le principal, c'est moins grave que si ç'avait été pire"

Ca faisait longtemps que je n'avais pas papoté avec toi... j'en avais oublié la saveur. Et oublié aussi qu'essayer de te suivre n'est pas toujours facile... ni même toujours possible, pour la "petite innocente" que je suis :-)

 

 

Re: Re: Re: Re: Re: Re: Re: Re:

 

 

Re: Re: Re: Re: Re: Re: Re: Re: Re: Re:

Complex,
Tu parles là comme quelqu'un qui ne connait pas l'impact des nuances, de l'influence des plus petits mots et de leur position dans une phrase. Et de l'impact de l'enchainement des phrases entre elles. Tu parles là comme un non-blogueur. Comme quelqu'un qui ne sait pas que si le contexte n'est pas restitué et le locuteur connu, on peut faire dire tout et n'importe quoi à tout le monde et n'importe qui. Comme quelqu'un qui n'a jamais discuté longuement par écrit avec des inconnus pour t'apercevoir finalement que ce qu'on avait compris de tes mots n'avait rien à voir avec ce que tu croyais y avoir mis. Comme quelqu'un qui ne sait pas que ce que je crois savoir de toi, tout ce qui a précédé entre nous ce que tu dis aujourd'hui, influence irrémédiablement la façon dont je vais interpréter tes propos.
Toi qui manie si subtilement, si précisément, le scalpel de la langue française... Crois-tu qu'une "construction cohérente" suffise ? cohérente pour qui d'abord ? cohérente par rapport à quoi ?
Pour le coup, c'est toi qui fait preuve d'une incroyable innocence !

Bien sûr, on aimerait bien que les choses soient comme tu le décris. C'est plus rassurant, ça nous donne l'impression de pouvoir prendre appui de temps en temps sur des bases solides...
Mais non, je crois réellement, comme tu semblais le dire plus ou moins dans ce commentaire-ci que les textes importants (sacrés, fondateurs, ...) ne valent que pour les questionnements qu'ils suscitent, les orientations qu'ils proposent, et non pour une espèce de "vérité" qu'ils contiendraient, une interprétation unique et sans erreur possible qui pourrait en être faite.
Mais comme d'hab... ce n'est que mon avis ;-)

 

 

oups ! anonyme était moi :-[

 

 

Re: Re: Re: Re: Re: Re: Re: Re: Re: Re:

il s'agit d'un travail de construction hors de portée de l'esprit humain.
Heureusement, on a complex!