Bobon
- Excusez-moi, je viens de mettre un bonbon dans la bouche
Je dis ça en accueillant Mme C. qui franchi la porte du bureau en boitant. Je lui souris gentiment. Je sais qu'elle a eu du mal à s'organiser pour venir me voir. Son mari hémiplégique supporte mal quand elle s'en va. Il passe ses journées dans son lit ou dans un fauteuil roulant. Elle l'aide à passer son corps d'agriculteur de 120 kilos de l'un à l'autre. Elle le lave, l'habille, lui fait à manger, lui donne à manger, répond quand il l'appelle. Elle est dévouée, épuisée, mais toujours souriante. Quand elle vient me voir, parce qu'elle n'y arrive plus à cause de son genou détruit par les années de travail puis de soins, elle se coiffe, se maquille, elle me fait honneur et ça me touche.
-Ce n'est pas poli ça, me répond elle en badinant. Et en juif en plus!
-Ça tombe bien, je suis juif. Mais si vous voulez un bonbon, je vous en donne un avec plaisir.
Son sourire s'éteint, les traits de son visage s'affaissent et elle balbutie des excuses. Elle ne voulait pas dire ça. C'est sorti bêtement. Je hausse les épaules et je me penche sur son genou. Après un moment de silence, elle s'anime à nouveau, se redresse sur la table d'examen et dit:
- Et il faut que je vous dise, en vérité, j'ai toujours eu beaucoup d'admiration pour votre race.
Couscous
- Il faut que je vous raconte mon séjour à l'hôpital nord de Marseille. C'était vraiment infect.
Madame G. prend à témoin son mari qui opine du chef avec dégoût. Elle a gardé son manteau en cachemire blanc, et rapproché sa chaise. Elle a posé ses coudes sur le bureau et masse ses poignets pendant que sa voix monte progressivement dans les aigus, portée par son cou de plus en plus tendu au dessus du col de son manteau en cachemire blanc. Son mari est resté en arrière les deux mains posées sur le pommeau de sa canne, digne et somnolent comme un labrador.
- deux jours après mon opération, ils ne m'avaient toujours rien donné à manger. Alors je leur ai demandé si je n'avais pas droit à quelque chose par exemple une petite tranche de jambon. Ils m'ont répondu qu'ils n'avaient pas de ça ici mais qu'ils allaient voir s'ils pouvaient me trouver quelque chose. Ils sont revenus avec un couscous. Vous vous rendez compte, un couscous! Juste après mon opération. Je n’allais quand même pas manger un couscous moi. J’en ai parlé a mon médecin traitant, il m a dit que c’était ma faute aussi d’être allé me faire soigner en pays arabe!
- Vous savez que vous êtes déjà venu me voir en consultation.
- Ah non. Moi, jamais.
- Si en 2007. C’était pour des douleurs de hanche. Je vous avais conseillé de perdre du poids.
- C'est possible. Je ne m'en rappelle plus... Par contre j'ai gardé un mauvais souvenir de vous!
- ...
- Vous devez vous en souvenir. Je suis venu avec ma sœur, Mme B.. Elle avait mal à un genou. Et quand vous avez vu ses mains vous lui avez demandé si elle fumait et vous lui avez dit qu'il fallait faire une radio des poumons. C'était quelque chose avec ses ongles. On était sorti en se disant qu'il est drôle ce docteur qui s'occupe des poumons alors qu'on vient pour le genou. Et en réalité vous aviez raison. C'était un cancer du poumon. Vous devez vous en rappeler. Un mauvais souvenir...Mais aujourd’hui, elle est guérie.
J’observais le maquillage permanent qui soulignait les rides autour de ses lèvres et effectivement je me souvenais de sa soeur. J'étais heureux d’apprendre qu’elle était guérie. C’était ce qu’il est convenu d’appeler un cas clinique intéressant qui aurait pu faire l’objet d’un exposé avec revue de la littérature par un interne. Il aurait montré une photographie des mains de Mme B. et aurait décrit la déformation classique des doigts en baguettes de tambour et des ongles en verre de montre. Il aurait parlé d’hippocratisme digital, d’ostéoarthropathie hypertrophiante pneumique de Pierre-Marie, d’apposition périostée et de syndrome paranéoplasique. C’est à dire d’une manifestation à distance d’un cancer et dans ce cas là le plus souvent d’un cancer du poumon.
Mme B était entré dans mon bureau avec une douleur du genou et elle en était sorti avec une suspicion de cancer du poumon. J’avais fait mon boulot et plutôt bien. J’avais puisé dans les connaissances qui font de moi un spécialiste et suspecté au delà de signes anodins, une maladie potentiellement grave. Et en prime,le diagnostic précoce augmentait les chances de guérison. En d'autres termes, j’avais découvert que Mme B. avait un cancer et j’étais content.
Et maintenant, je m’étonnais d’être déçu que la soeur de Mme B. ne me donne pas un témoignage de sa reconnaissance. Je m’étonnais de réagir encore comme un novice qui découvre pour la première fois que le porteur de la mauvaise nouvelle laisse lui aussi un mauvais souvenir.
Qu’en est-il des journalistes?
Laseine à
raison: la vie n'est qu'un échange d'odeurs. Et les mondes virtuels
en sont dépourvus. Noter aussi que peu de signaux peuvent produire
un effet aussi immédiat et intense qu'une odeur connue. Du moins si j'en juge par le plaisir instantané
que j'ai à plonger le nez dans le cou de ma fille et à
soupirer violemment par les narines pour enduire ma dernière
alvéole de fumeur de cigare repenti avec cet éther
impalpable et indéfinissable mais terriblement vivifiant.
Emmanuelle est une femme surprenante.
Si
elle est surprenante, ce n'est pas parce que son soutien gorge à
fleurs n'arrive pas à cacher que ses seins sont minuscules.
Ce
n'est pas non plus parce qu'elle est sergent chef dans l'infanterie
de marine.
Ni à cause de ses longues tresses africaines qui
descendent jusqu'au triangle de son string rouge.
Ni en raison de ses
gigantesque fesses noires, parfaitement sphériques, à
faire pâlir les mégères gendarmicides du marché
de Brive-la-Gaillarde.
Non.
Si Emmanuelle est surprenante c'est parce
qu'elle a le parfum d'une femme que j'aime et que je touche toujours
sans jamais l'examiner.
Soumis à une perception dissociée
de la réalité, j'ai senti le monde vaciller. L'odeur et
l'émotion qu'elle suscitait ne s'accordaient pas avec la
situation. Soudainement, j'ai douté du réel.
Un
monde sans odeur est peut-être un monde sans vie, mais qu'en
est-il d'un monde d'odeurs échangées?
On m'a déjà enterrée deux fois.
Ma femme est morte il y a 19 ans. Depuis, c'est tous les jours comme hier.
Je suis comme les filles de joie à la maison. Je passe toutes mes journées allongé sur le plumard.
Je sais j'ai une gueule de déterrée vivante.
Comme dit ma soeur, nous il faut qu'on sente la douleur pour être soulagées.
A chaque geste je me découvre un muscle, un os ou un nerf que je ne connaissais pas.
Je l'ai mis pieds au mur.
Il a raison. Il faut que je mette un terme à ma faculté d'empathie.
Je m'étais fait une entorse de la cheville en colonie de vacance et je crois qu'elle se réveille. Qu'est-ce que vous voulez? à quatre-vingt quatorze ans, il faut bien avoir quelque-chose!
Je suis feignante. Je suis née un dimanche.
Je ne supporte ni les conflits ni la violence. Même au cinéma. J'ai choisis mes voisins. D'un coté c'est mon père et de l'autre c'est mon beau père. C'est le calme absolu. J'aime la tranquilitude.
C'est quoi ce cirque vicieux?
L'emblème c'est que je suis debout toute la journée.
-Il est décédé quand votre fils?
-Hier... il y a quinze ans... c'est pareil.
Vous m'avez sauvé une fois, alors je reviens pour voir si vous pouvez recommencer.
Ne regardez pas la carrosserie. Les gens me jugent comme ça au premier abord. Mais à l'intérieur, c'est pourri.
Je ne l'ai pas pris. Je fais un peu de radiesthésie et j'ai regardé le médicament avec mon pendule.
Il n'était pas du tout d'accord.
-La dernière fois que je vous ai vue, vous vous faisiez du souci pour votre fils.
-Je ne m'en fait plus. Il s'est suicidé le 5 janvier.
- Docteur, vous savez à qui vous ressemblez?
- Non?
- A Monsieur Sarkosy.
(Elle est vieille et bigleuse, mais quand même, ça fait un choc)
- Vous auriez du mettre le champagne au frais.
- Comment ça le champagne au frais?
- Et bien oui! ça fait dix ans presque jour pour jour que vous me soignez.
- Dix ans! merde alors! Vous déconnez?
- Non. Dix ans. Vous m'avez faite rentrer à l'hôpital juste après mon soixante-dixième anniversaire. Vous vous rappelez dans quel état j'étais?
- Si je me rappelle?! Mais alors c'était à vous d'apporter le champagne.
- Vous rigolez. Je vous emmène déjà du fric tous les six mois.
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